Autoportrait en cours(e) est un projet artistique de Reynald Drouhin.
« Ex praeterito / praesens prudenter agit / ni futura actione deturpet. »
« Informé du passé, le présent agit avec prudence, de peur qu’il n’ait à rougir de l’action future. »
Allégorie du temps, Titien, 1560
Résumé
Autoportrait en cours(e) – After the Beginning, Before the End
Métaphore de la pratique artistique, ce projet atteste d’une activité quotidienne, routinière, endurante. Par la collection de selfies, de données de géolocalisation et de mesures (quantified-self), un autoportrait se construit peu à peu, témoignant de la globalité d’une expérience (de vie, artistique). La technologie et les objets connectés offrant de plus en plus de captations possible, ils participent à l’évolution et à la multiplication des transcriptions envisageables.
Sur les traces de l’auteur Haruki Murakami (Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, What I Talk About When I Talk About Running, Haruki Murakami, 2007), inspiration du projet, il s’agit de l’expérimentation d’un protocole défini en fonction de l’environnement (géolocalisé et traçable) et la représentation de ce qu’il implique comme conséquences sur la pratique.
Note d’intention
Autoportrait en cours(e) est un projet en développement sur le long terme (données collectées depuis 2012), comme en « tâche de fond », mais toujours présent dans mon quotidien. Fin 2019 date de la mise en ligne au publique, 800 « courses » ont déjà été enregistrées.
Il atteste à la fois d’une partie – parfois privée – de ma vie : par la captation de (certains) déplacements quotidiens, la présence dans les images d’éléments de ma vie personnelle (situations, rencontres, enfants…), et témoigne de mon évolution au fil de ces dernières années. Tel qu’à travers des autoportraits d’artistes au travail (voir, par exemple, les autoportraits de Roman Opalka et plus généralement l’autoportrait dans l’Histoire de l’art), je cherche à capter un portrait au sens large, dévoilant plus que ma simple « image ». Ces selfies sont certes de multiples autoportraits, mais aussi des indicateurs de mon activité, d’une habitude, d’une façon de vivre (la pratique de la course est à la fois un signe de l’époque et un élément de rituel que l’on retrouve par exemple chez Haruki Murakami comme une hygiène de vie nécessaire à la création).
Le titre, Autoportrait en cours(e), signifie autant ce que l’on voit (des portraits pris lors de courses) que ma volonté de me représenter sur une durée et en évolution. Je cherche à capter un « portrait » – impossible ? – témoignant de la globalité d’une expérience (de vie, artistique, en mouvement…).
Métaphore de la pratique artistique (Cf. Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Haruki Murakami, 2007, ed 10-18), ce projet atteste d’une activité de running régulière, répétée (routine) et endurante, et croît au fil de l’exercice. Le projet lui-même influence ma vie en motivant des pratiques personnelles (accentuation et diversification des activités sportives, systématisation de l’enregistrement) et atteste d’une progression : le projet se développe (ajout et variation des données enregistrées, élargissement de l’environnement qui est « capté »), la technique se perfectionne, j’avance.
L’allégorie du temps du Titien évoque l’expérience au travers de la vie. Le présent est vécu dans la conscience qu’il s’inscrit dans un ensemble et une durée (avant/après), dans une collection d’informations. L’expérience s’accumulant, mon projet s’enrichit. Les trois portraits du Titien se multiplient ici en une multitude de portraits pour n’en signifier qu’un seul.
La pratique du selfie témoigne d’une époque et intervient comme de multiples points de repères : géographiques, temporels et contextuels dans ma vie et ma pratique (« j’ai été ici »).
La première apparition du terme argotique de selfie connue est son emploi en septembre 2002 dans le forum australien en ligne ABC Online par un jeune homme ivre, le mot se développant d’abord dans ce pays (avec la mode de rajouter le suffixe « ie » à un terme argotique pour le rendre plus attachant) avant d’être utilisé couramment en 2012 dans les médias traditionnels du monde entier.
Comme dans plusieurs de mes projets, j’utilise l’accumulation est la systématisation d’un procédé prédéfini pour développer un ensemble composé d’une multitude d’unités sérielles (grilles) . Après le « village global » d’IP Monochrome , la carte d’humeur mouvante (Zeitgeist) de la toile dessinée par GridFlow , je cherche ici, par une approche systématique similaire, à me représenter dans une globalité à travers mon environnement immédiat et mon mode de vie.
En intégrant l’idée d’expérience vécue, sensible (l’effort de la course, la présence physique), je souhaite faire revenir davantage la matérialité et le corps dans ma pratique artistique.
Si, dans sa projection, la course (à pied, en skate, en vélo), peut s’apparenter à une fuite vaine en avant, elle est pourtant intense et très concrète dans le moment présent. Elle est physique, puissante et connectée à l’environnement.
Les traces ne sont rien par rapport au vécu ; je souhaite trouver le moyen de transmettre la réalité (physique) de cette expérience, proposer une façon de saisir un autoportrait sur une durée et une distance, élargir le projet pour rendre compte de la multiplicité des paysages parcourus.
Mon projet fait cohabiter des éléments paradoxaux tels que l’instantanéité du selfie et l’enregistrement du mouvement ou la confrontation du portrait et du paysage.
Ma réflexion se porte également sur le rapport entre ces données distinctes et l’influence que certaines pourraient avoir sur les autres : comment, par exemple, l’image pourrait-elle être influencée par l’expérience du corps et de la course plutôt que d’en attester ?
Connecté :
Applications utilisées : Runkeeper, Runtastic, Strava…
Connecté avec : The Beautiful Walk
références
Bibliographie
- « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond« , « What I Talk About When I Talk About Running » de Haruki Murakami, 2007, Ed. 10-18.
- La solitude du coureur de fond, Alan Sillitoe, 1959, Ed. Point.
- Les enfants d’Achille et de Nike, Martine Segalen, 1994, Ed. Métailié.
Musique
« Runs RD » playlist sur Spotify en référence au passage sur la musique dans le livre de Murakami .
Iconographie
Portraits : « Before – After »
cinéma
Yes man, 2008, Peyton Reed
Forrest Gump, 1994, Robert Zemeckis (Cours Forrest, Cours !)
Notes (ARCHIVE)
Des autoportraits, autophoto, égoportrait en mouvement , une collection de selfies sur la notion de temps et d’espace, une découverte du paysage par son parcours, une quantification de ce parcours avec des repères photographiques géolocalisés sur une carte, un archivage des données des portraits et des paysages dans un blog, éprouver physiquement l’espace du paysage dans un inaccessible « autoportrait multiple » et inachevé, dans une timeline cartographique et photographique, une tentative de capture d’une réalité d’un temps de vie, en endurance, être au monde et le découvrir…
Ce blog a débuté en 2016 et compile les données GPS + photos enregistrées lors de chaque « runs » (et plus globalement : chaque course – déplacement – effectuée depuis 2012.)
Le titre : « Self-portrait in progress », « Autoportrait en courant /en course /en mouvement », « Self-portrait in race », « selfie in race »…
Expérience : Je cours plus ou moins régulièrement depuis mars 2007. J’ai commencé à enregistrer ces courses dès le début avec une appli Nike. C’était le début du quantified self (« l’auto-mesure de soi »).
Petit à petit, j’ai testé différentes applications sur iPhone pour finalement choisir Runkeeper – ou parfois Runtastic, selon l’activité et les mises à jours. MàJ 2019 : maintenant Strava.
À partir de 2012, l’application a permis d’associer des prises de vues à la géolocalisation ; j’ai donc ajouté à mes « runs » des autoportraits. C’est ce que l’on peut voir sur ce blog : deux selfies. Parce que l’application a ouvert la captation à un panel plus large de sports, j’ai fini par enregistrer toutes mes « courses », quel que soit le déplacement (vélo, skate, roller, trottinette, snowboard…). L’idée est de capter mon portrait dans l’effort – avec des repères en début et en fin d’activité.
Le temps : After the Beginning, Before the End, Après le début, avant la fin. Le blog est composé sur une base en triptyque : 2 photographies portraits « avant / après » – principe très utilisé sur le net pour les diverses défis (challenge) que les personnes se donnent à elles-mêmes –, comme pour témoigner de l’expérience vécue (et passée), et une 3ème de la carte GPS du parcours (le fil, tracé GPS).
Le paysage : en fond d’écran, en arrière plan s’affiche aléatoirementparmi des paysages collectionnés sur les lieux des trajets.
Je découvre la notion de Alain Damasio sur le self serf-vice… à complèter : « Après avoir vécu une trajectoire d’émancipation et de rébellion avec mai 68, le régime de contrôle s’est adapté. Il a atteint son point ultime avec l’auto-aliénation. Le capitalisme cognitif a créé le fameux « self-serf vice » que j’évoque dans mon roman » (Les Furtifs)
Un projet de Ai Weiwei #runforourrights en cours 2021… In defense of freedom of press and human rights.