Epiphytosis et pièces annexes
Ces travaux sont une compilation de toutes mes pièces exécutées et forment ensemble une installation immersive où deux lignes directrices principales sont apportées à ma recherche artistique.
Ces deux notions sont issues du raisonnement anthropologique de Tim Ingold, qui décrit dans The Life of Lines deux entités : le blob et la ligne. Je peux expliquer brièvement ces deux concepts abstraits pour les associer plus tard à ma pratique artistique.
Le premier – loin d’être l’être vivant orange qui étend son corps pour trouver les ressources vivantes en un réseau complexe – est décrit comme une « masse » qui permet d’exécuter n’importe quelle action. Dans sa pensée, toute action a besoin d’au moins une source de masse ou d’énergie pour s’accomplir : c’est pourquoi Ingold appelle cette ressource primaire le blob.
Le deuxième concept – la ligne – est tout vecteur pour promouvoir l’action. Dans la mesure où le blob est considéré comme une masse et une énergie, les lignes sont des actions liées par des blobs. Ils ont ce que les blobs n’ont pas : la dynamique. Donc, d’un côté nous avons la masse, la ressource, et de l’autre nous avons l’action et la dynamique dérivée de ces sources.
Ce schéma a été magnifiquement expliqué à travers une seule œuvre d’art dans son livre, une peinture d’Henri Matisse (Danse, 1909-1910) qui est affichée ci-dessous :
Le chercheur nous explique à travers ce tableau que même si nous semblons à la dérive en tant que créatures, nous faisons partie d’un maillage. Ce maillage (meshwork) entre blobs et lignes est bien visible dans l’œuvre de Matisse : le corps des danseurs est le blob tandis que leurs bras, les enchevêtrant dans une danse, sont les lignes exécutant l’action.
Maintenant, si nous revenons à mon travail Epiphytosis, ces trois notions : blob, lignes et maillage sont le fond de toute l’installation. En tant qu’étudiant en art je m’interroge sur notre appartenance au monde, spécialement du siècle dernier à l’époque contemporaine. La relation que nous entretenons avec la nature est un sujet qui anime tous mes intérêts et ma pratique personnelle. Quand je me rends compte que notre existence est complètement liée aux ressources dont nous avons besoin pour déployer chaque action de notre vie sur Terre, je me rends compte que le maillage est un schéma très délicat, et aussi en voie d’effondrement.
C’est pourquoi j’ai gardé ce titre (Epiphytosis) sur ma tête tout en tricotant toutes les pièces pour les lier ensemble dans un espace. Dans cette installation, ce que j’attends des visiteurs, c’est de vivre à des rythmes différents de ceux que nous utilisons pour vivre au quotidien – puisque l’ère industrielle nous a amenés à accélérer nos vies et donc la consommation des ressources de la Terre.
Les épiphytes sont connues pour s’enraciner dans un hôte; le même rapport entre l’homme et la nature. Cependant, les plantes épiphytes sont conscientes que si elles mettent leur hôte en danger,
elles ne pourront pas se maintenir en vie, elles essaient donc d’équilibrer leur rythme au sein du cycle de leur hôte. Cet équilibre est tout ce qui compte pour moi dans mon travail.
L’installation est habitée par trois sources sonores que j’ai développées après des recherches approfondies sur la musique fonctionnelle (Muzak a été le point de départ de mon enquête). De nombreuses recherches scientifiques des années 50 ont déclaré que les fréquences sonores pouvaient modifier notre comportement humain – de nos performances au travail à nos choix quotidiens. Ces recherches ont été utilisées en retour pour faire en sorte que la classe ouvrière soit performante tout en étant des sujets d’expérimentation de la science.
Mon chemin va à l’envers de ces recherches d’accélération. Mon objectif est de garder chaque visiteur dans son rythme le plus lent, de la respiration au mouvement, pour faire face différemment à l’installation sur laquelle je l’invite à vivre – même si pour un petit laps de temps.
L’installation dans son ensemble est réalisée à partir de branchages récoltés lors de plusieurs visites dans les forêts environnantes de Rennes, où des field recordings ont également été réalisés pour servir ultérieurement à mes recherches sonores. Tous les bois étaient donc recouverts à certains endroits par des travaux de tricot faits d’un fil de laine de couleur bordeaux. Je voudrais expliquer brièvement ce choix comme la couleur des entrailles, pour mettre en évidence la matière vivante de la vie forestière et la relier à notre propre fragilité biologique. Ainsi, tous les tricots sont reliés comme un tout, de sorte que toucher une seule branche pourrait générer des mouvements dans chaque partie de l’ensemble de l’installation nous éveillant à l’idée d’appartenir à un maillage complexe mais fragile.
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